Annette Messager : « La censure chinoise a dû prendre mes utérus pour des fleurs »

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La luminosité fait plisser nos yeux. Nous avons enlevé nos chaussures pour marcher vers la mer. « Quand je pense que, aujourd’hui, des gens regardent de nouveau cette ligne d’horizon comme une preuve que la Terre est plate…  », s’étonne Annette Messager, le regard fixé sur l’immensité. A 80 ans, la plasticienne, voix douce, silhouette menue, a le pied fragile et la parole joyeuse.
Merlimont, Pas-de-Calais, sur la Côte d’Opale. La ligne qui sépare le ciel et les flots s’étire à l’infini. Au nord, on distingue Le Touquet, villégiature bourgeoise. Au sud, de la brume évanescente qui s’évapore sur la large bande de sable détrempé, émergent une grande roue, un clocher et les murs de l’hôpital maritime : Berck-sur-Mer.
C’est là que l’histoire commence. Au début est André Messager, un étudiant parisien en architecture qui contracte une tuberculose osseuse. Nous sommes en 1920. On l’envoie ici, où, depuis le XIXe siècle (et la veuve d’un marin, militante des cures iodées, Marianne Brillard, alias « Marianne Toute-Seule »), on pratique avant l’heure la thalassothérapie. « L’air y est très vif, très iodé. En général, la première nuit, quand je débarque, je n’arrive pas à dormir », témoigne Annette Messager, qui aime à répéter : « Berck guérit les malades et tue les bien-portants. »
Venu pour six mois, André Messager restera allongé sept ans durant, poursuivant ses études par correspondance. La légende familiale veut que sa mère, venue rendre visite à son jeune frère souffrant du même mal, soit tombée amoureuse de cet homme alité qu’on dit mourant. Et l’épouse. « Je ne sais pas si elle a bien fait, remarque, sans s’appesantir, Annette Messager. Mon père n’avait pas eu de jeunesse, du coup, il l’a vécue plus tard… »
Le père miraculeusement réparé, le couple rentre à Paris. Rechute. Les voici définitivement installés à Berck. En 1938, un garçon naît, puis, en 1943, sous les bombes anglaises réduisant la moitié de la ville en cendres, Annette Messager. Elle va grandir là, dans ce monde de ruines et de malades – « Mais les malades sont des gens joyeux, précise-t-elle. Ils ne parlent jamais de leurs souffrances. Ils profitent, ils profitent… Ils lisent, peignent, écrivent des poèmes. » Ecole de l’imagination. « Avec les amies, c’est horrible, on s’allongeait dans les gouttières – des lits sur roulettes pour les malades –, les gens avaient pitié : “Tu veux une petite gaufre, mon enfant ?” »
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